Donner moins à ceux qui ont moins
Le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) n'y va pas par quatre chemins : «L'Ecole française donne moins à ceux qui ont moins» ; « […] la politique d'Education Prioritaire a échoué. Il y a aggravation des inégalités scolaires et ce sont les politiques menées depuis 30 ans qui en sont les premières responsables ; le label « Education prioritaire » devenu stigmatisant fait fuir les classes moyennes, les moyens distribués pour « compenser » sont bien trop éclatés pour être efficaces, les temps de cours sont moins élevés dans les établissements prioritaires que dans les autres, les enseignants-es y font beaucoup plus de discipline et les plus expérimentés-es ne restent pas... »
Des voix opposées aux conclusions du rapport se font aussi entendre : l'étude qui porte sur la période 2000-2012, méconnaît l'évolution récente de l'Education prioritaire , du travail pédagogique effectué, de la formation mise en place dans les REP+, du continuum école-collège, des dispositifs « - de 3 ans, Maîtres+ ». Certains affirment toujours que le label ne fait pas fuir les familles des catégories moyennes et aisées, que son « effet négatif » n'est pas prouvé et qu'il est nécessaire pour attribuer des moyens supplémentaires*… Pour Marc Douaire (Observatoire des Zones Prioritaires), « […] ce n'est pas l'éducation prioritaire qui a créé les inégalités territoriales ». et […] ce qu'il faut attaquer, c'est le fonctionnement du système éducatif avec le pilotage par l'aval, les examens, l'implantation des filières d'excellence dans les bons lycées... ». Enfin, posons la question toujours d'actualité : et si la politique de l'éducation prioritaire n'avait pas existé, où en serions-nous ?
Cependant, ne faut-il pas dépasser cette question clivante du « pour et du contre » pour finalement savoir si les différentes mesures concrètes mises en œuvre ont été, sont efficaces. Le modèle prévalant en France est celui des politiques de compensation -voire de contention- (l’éducation prioritaire donc depuis 1982) et des dispositifs multiformes d’aide individualisée, posés aux côtés des heures disciplinaires (depuis 1977). Or, ces politiques se révèlent peu efficaces : elles travaillent à la marge de l’école et des heures de cours d'une part et elles ne changent pas fondamentalement les pratiques pédagogiques et l’expérience scolaire au quotidien des élèves français d'autre part. Les supprimer complètement obligerait sans nul doute nos gouvernants à reconnaître de façon prégnante la responsabilité du contexte économique, social ou migratoire dans l’évolution des inégalités sociales à l’école.Sont-ils prêts à le faire ? La rengaine :« pour donner plus à ceux qui ont moins, la contrainte budgétaire impose de définir de façon restreinte les établissements les plus en difficultés » leur suffit amplement.
Piqûre de rappel : tout le monde s'accorde sur le fait que la réduction des effectifs doit être obligatoire si l'on veut que les enfants scolarisés dans les établissements relevant de l'éducation prioritaire puissent progresser. Seulement, les moyens donnés ou (plus souvent) redéployés ne sont pas à la hauteur du défi. En 2015, du CP au CM2, l’effectif moyen dans les classes d’éducation prioritaire était de 22,7 élèves, soit seulement 1,4 élèves de moins que dans les écoles hors éducation prioritaire. En 2015 toujours, au collège, l’effectif moyen d’une structure (« du nombre moyen d’élèves à chaque cours ») était de 21,7 en éducation prioritaire, soit 2,5 élèves de moins que dans les collèges hors éducation prioritaire. Rappelons-nous des recherches et préconisations de Piketty et Valdenaire en 2006.
Piqûre de rappel : la formation est essentielle. Le temps alloué aux enseignants-es de REP+ est une avancée mais une formation initiale et une formation continue encore plus ambitieuses, interdisciplinaires -qui permettraient de croiser analyses, pratiques, regards avec les personnels éducatifs, de santé, avec du temps et des lieux adaptés- doivent être renforcées et dépasser le stade de l'expérimentation. Dans le 1er degré, la part d’enseignants-es peu expérimentés-es (moins de 30 ans) a augmenté ces dernières années, passant de 22 % en 2008 à 26 % en 2015. Dans le second degré, cette part est deux fois plus importante en éducation prioritaire (17 % contre 9 % hors éducation prioritaire, en 2011). Or, la recherche montre que le sentiment d’efficacité d’un enseignant est nettement plus faible lorsqu’il a moins de 5 ans d’expérience. Il faut aussi un espace dans lequel prendre en compte les difficultés du métier, la souffrance des personnels enseignant et non-enseignant et donc avoir des personnes ressources qualifiées pour assurer l'accueil, l'écoute et le suivi de ces personnels.
Autre point essentiel : le principe de donner plus à ceux qui ont moins doit aussi être intégré dans les processus d'apprentissages et d’orientation des élèves ; accompagner davantage les familles les plus éloignées de l’école dans la connaissance des codes, des formations et des outils d’orientation. Les construire aussi avec elles.
Enfin, ne conviendrait-il pas de favoriser la réduction du temps de présence devant élève, plutôt que la multiplication de primes ou d'avantages de carrière qui ne cherchent qu'à cacher un salaire de base bien insuffisant pour tous et toutes et à diviser les personnels.
Sur le terrain, les résistances s'organisent : ce sont des équipes de lycées qui, légitimement, réclament le label REP ou REP+ (que l'administration ne leur attribue pas) car ils accueillent des adolescents de collèges classés -eux- en REP : lycées de banlieues parisiennes ou dans le 06, le lycée Apollinaire scolarisant des élèves des collèges Duruy, Nucéra et Jaubert. Ce sont des enseignants-es, qui mettent en place des pédagogies alternatives, exigeantes, sans concessions, avides de réveiller, d'encourager l'esprit critique qui existe dans chaque enfant, chaque adolescent. Ce sont des parents, des associations qui se mobilisent aux côtés des équipes pour dénoncer les inégalités territoriales, l'iniquité de la carte scolaire, le manque criant de remplaçants-es, le manque de transports, la faiblesse des offres culturelles…
Il est urgent que les établissements les plus ségrégués bénéficient des mesures citées dans les lignes précédentes et fassent l'objet d’une politique volontariste interministérielle de mixité sociale. La droite et son Sarko-barnum voulaient kärchériser les banlieues, la gauche hollandaise a raté trop de rendez-vous. Mais quelles leçons ont-elles tirées des émeutes de 2005 ?
Aucune politique, aucune pratique pédagogique ne résiste aux effets délétères de la concentration extrême des difficultés scolaire et sociale dans des établissements ghettos.
* la réalité n'est pas aussi « rose »