Editorial Lettre ouverte en réponse à la missive du Ministre que nous avons tous reçu en fin de semaine derniére:
Monsieur le Ministre de l'Education,
La confiance est un état d’esprit indispensable que nous entretenons depuis bien longtemps, sur le terrain, avec les enfants, les adolescent-es et leur famille.
Nous n'avons pas attendu ni votre projet de loi, ni un logo pour faire vivre cette confiance.
Pensez-vous que nous ne sommes pas conscients-es que l'École est inégalitaire ?
Pensez-vous que nous ne sommes pas au courant que 20 % des élèves à l’école primaire ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux, que 22 % des jeunes de 20 à 24 ans sont ni en emploi, ni en enseignement, ni en formation ?
Vous ne vouliez pas laisser votre nom à une loi mais vous le faites quand même, et dans cette loi, aucun des 25 articles ne parle profondément de pédagogie.
Vous pensez que votre verticalité et le caractère hors-sol de vos mesures suffirait à nous clouer le bec ?
Et vous voulez donc par une missive supplémentaire, nous rappeler qu'il faut changer cette situation parce que « Changer cette situation dépend de notre capacité à nous unir autour d’objectifs clairs et ambitieux : tous les élèves doivent maîtriser les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter et respecter autrui). »
Décidément, la charge de Ministre de l'Éducation est un éternel recommencement, une éternelle répétition. Alors, ce que nous ne faisons pas pour les élèves des classes dont nous nous occupons – marteler à l'envi des contenus formatés, saupoudrés de neurosciences- nous l'accepterions pour nous ?
Vous dites investir massivement dans l’école primaire avec plus de 2300 postes supplémentaires dans un contexte de baisse démographique.
Vous dites dédoubler les CP et les CE1 en Rep et Rep+, ce qui va permettre d’offrir à 300 000 élèves un suivi renforcé.
Vous dites avoir pris l’engagement d’une amélioration du taux d’encadrement à l’école primaire dans chaque département de France et à chaque rentrée de 2017 à 2022.
Très bien, mais ce que vous « accordez » d'une main, vous le reprenez de l'autre. Quid des milliers de postes supprimés dans la ruralité, des postes de M+ et de RASED récupérés, comme ceux dans le 2nd degré, quid de la réforme imposée inique des lycées, du dézingage des lycées pro et de Parcoursup qui reproduit encore et toujours les inégalités de territoire ?
Vous évoquez « l’élévation du niveau général et de la justice sociale »… Quelle démagogie ! Parce que vous êtes, Monsieur le Ministre, un des tenants les plus ardents d'une vision managériale, privatisante du système éducatif : cela fait plus de 20 ans que vous fourbissez et fournissez vos orientations ultra-libérales aux élites, dans la cadre du lobby « Agir pour l'École ».
Monsieur, vous voulez simplement -et nous pesons nos mots- « mettre au pas » la profession sous couvert d'une « com » enfonceuse de portails ouverts.
Grâce à ce projet de loi, écrivez-vous : « ...nous approfondissons notre action en abaissant l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans afin de renforcer l’école maternelle. C’est en effet entre 3 et 6 ans qu’il est possible de lutter efficacement contre la première des inégalités et la plus prédictive de l’échec scolaire, l’inégale maîtrise du langage... ». Monsieur Blanquer, 98 % des enfants concernés sont déjà scolarisés, vous le savez. Votre objectif vise 26 000 enfants, mais il vise surtout à financer, par le biais des collectivités territoriales (déjà bien ponctionnées), la création de structures privées.
Une réponse pédagogique plus personnalisée est une des clés de la réussite de tous, scribouillez-vous. Vous avez mis à la disposition des enseignants-es, des outils d’évaluation « nourris du meilleur de nos connaissances pédagogiques ». Et vous nous remerciez, épistolairement, pour notre engagement dans la mise en œuvre des outils sus-cités, c'est-à-dire le « Guide orange » et ses annexes ; c'est-à-dire les indicateurs, tableaux, diagrammes, camemberts et powerpoint… que les IA, IEN et équipes de circonscriptions ne manqueront pas de nous piqûrer de rappel si des difficultés surgissaient au détour d'une statistique. Ah ! le pilotage par les résultats, ça fleure bon l'entreprise...sauf que dans les pays pionniers de cette vision normée du système éducatif (USA, Grande-Bretagne), ça fait quelques années que tout cela a été mis au rancard.
Autre passage savoureux de votre lettre, c'est lorsque vous affirmez que l’un des défis de cette meilleure personnalisation passe par le renforcement de l’École inclusive inscrite dans le projet de loi. « L’émergence d’un service public du handicap à l’École va nous permettre de réaliser l’objectif d’une École pleinement inclusive en septembre 2019 avec des accompagnants mieux formés et mieux considérés. » Et dire que c'est sous la pression de députés de droite que vous avez glissé dans votre « super-projet » , la création des PIAL (Pôles Inclusifs d'Accompagnement Local) destinés à mieux répartir les moyens existants (et non les abonder) parce que justement dans vos premières moutures, l'école inclusive »...avait été oubliée.
« Vous êtes les premiers acteurs des politiques scolaires qui se situent à l’avant-garde du progrès social. À ce titre, tous les Français vous doivent gratitude et respect. L’article 1er du projet de loi, qui ne crée aucune obligation nouvelle pour les professeurs, je tiens à le préciser, rappelle ce principe sur lequel je ne transigerai pas : le respect par les parents et les élèves de l’institution scolaire et de ses personnels.»
Ce passage, nous en avons la chair de poule, Monsieur Blanquer, sauf que dans ce fameux article 1er, il n'est nullement question de vous et de votre Ministère en tant que co-acteur, que co-responsable de la destinée scolaire d'un enfant. Si jamais il/elle se plante, les responsables seront les personnels, les élèves et leurs parents… No comment.
« Cette confiance dans les professeurs se traduira concrètement par le renforcement de votre formation initiale et continue […] signifie en langage décrypté : d'une part, les ESPE seront remplacés par des INSP, dont les directeurs-trices seront nommés par...vous-mêmes et d'autre part, des étudiants-es en L2 pourront assurer des remplacements d'enseignants-es titulaires... Et vous rajoutez : « [...]et par votre droit à l’expérimentation pédagogique ». Monsieur, le paradis pédagogique du système éducatif hexagonal est malheureusement pavé d'expérimentations qui n'ont été, ne sont et ne seront jamais généralisées. L'expérimentation est contrôlable. Les dominants en font un alibi convenable. Tant que cela reste « petit », ils ne seront pas en danger.
Or donc, Monsieur le Ministre, vous souhaitez donner « ...un cadre juridique plus solide à ces expérimentations en offrant la possibilité de créer un établissement public local d’enseignement des savoirs fondamentaux (EPSF). La création de cet établissement repose sur l’accord de tous les acteurs locaux, c’est-à-dire de la communauté éducative et des élus. Il représente une liberté nouvelle et non une obligation. En aucun cas, il n’a vocation à faire disparaître des écoles et encore moins leurs directeurs, contrairement à ce qui peut être écrit ici ou là. C’est tout l’inverse. Avec ces nouvelles dispositions, les directeurs seront davantage encore les acteurs locaux de l’école » Devant la gronde et les mobilisations de la profession, ne voulez-vous pas calmer le jeu, gagner certainement du temps (c'est un des grands classiques du gouvernement auquel vous appartenez). Mais pensez-vous que nous soyons dupes de cet énième coin de la doxa du socle commun enfoncé dans la chair d'une Ecole républicaine de plus en plus à deux voire trois vitesses?
La politique menée depuis deux ans, approfondie par ce projet de loi, va vous permettre de mieux assoeir une vision utilitariste de l'Ecole. Et les principes faussement émancipateurs, et vos déclarations cosmétiques ne dissimulent nullement l'objectif premier de votre action : supprimer des milliers de postes.
Vous dites vouloir permettre aux élèves « d’être pleinement acteurs de leur vie. » Mais, avez-vous réellement confiance en leurs capacités ? En leur esprit critique ? Daignez-vous, a minima, laisser affleurer cette question lorsque vous vous autorisez à transformer structurellement le système éducatif ?
Nous, nous savons que nous pouvons compter sur l'engagement des élèves et sur celui de leur famille parce que nous co-construisons, jour après jour, du lien et nous l'espérons, du sens. L'Ecole que nous voulons, Monsieur le Ministre, nous la voulons profondément universaliste, solidaire et portée -non pas par la compétition- mais par l'émulation, c'est-à-dire le désir de progresser avec l'aide des autres.
Avec toute notre défiance
Cgt-Educ'Action