Destruction organisée d’un système éducatif.
L’exemple suédois.
On a souvent déploré 20 ans de retard de la France sur les Etats Unis, dans bien des domaines. Pour ma part j’y vois un avantage certain : il n’y a qu’à regarder de l’autre côté de l’Atlantique pour constater les dégâts des contre-réformes qu’ils inspirent à certains dans notre pays. Joe Biden annonçait le 24 août dernier l’annulation d’une partie de la dette des étudiant·es américain·es, 10 à 20 000 $ par tête de pipe ! Une promesse de campagne qui pourrait lui permettre de limiter la casse aux élections de mi-mandat qui auront lieu dans deux mois.
Mais en septembre, ma « diseuse de bonne aventure » s’appelait Suède. A l’occasion des élections législatives du 11 septembre 2022, on pouvait lire quelques articles sur l’évolution du système éducatif suédois depuis 30 ans.
Le journal Le Monde (1) nous rappelait le 9 septembre que si dans les années 80 l’école suédoise était très centralisée, organisée et financée par l’Etat, et ne comptait pas plus de 1,7% d’élèves scolarisé·es dans le privé, ce système scolaire était considéré comme l’un des plus performants et égalitaires du monde.
Trente ans plus tard, 16 000 élèves sortent chaque année du collège sans pouvoir accéder au lycée. Les inégalités se sont creusées de façon massive. L’enquête PISA de 2013 pointait déjà l’effondrement du niveau de lecture, de mathématiques et de science des élèves suédois·es. Dès la naissance de leurs enfants, des parents mettent leur progéniture sur liste d’attente en espérant avoir une place dans « une bonne école », bien payante.
La recette suédoise pour détruire leur système éducatif ? La suppression à la fin des années 80 de la carte scolaire, la libéralisation du secteur éducatif, l’autonomie des établissements, la permission pour les écoles de faire des profits, certaines étant même cotées en bourse !
Si vous voulez prévoir les effets probables des contre-réformes françaises présentes et à venir, il suffit peut-être, malheureusement, de regarder ce reportage de 2 minutes 37, Suède : enfants d’immigrés, un enjeu électoral (2), diffusé le 10 septembre. Dans une école primaire de la banlieue nord de Stockholm, une professionnelle témoigne :
« Les enfants qui nous rejoignent sont nés en Suède et y ont vécu leurs 6 premières années, mais leur niveau de suédois reste faible. Ils sont peu en contact avec la langue suédoise. Les écoles maternelles ont parfois des employé.es qui maîtrisent mal la langue suédoise. » (…) Une spécialiste du langage y pointe du doigt l’absence de formation du personnel enseignant en maternelle :
« L’un des problèmes majeurs c’est le personnel des écoles : les instituteurs ne parlent pas suffisamment bien le suédois parce que beaucoup d’entre eux ne sont pas éduqués dans la langue suédoise. Ils ne la maîtrisent pas aussi bien que s’ils vivaient là depuis longtemps, s’ils avaient étudié ici et acquis le langage. »
Quand nos gouvernant.es parlent d’autonomie des établissements, de recrutement par les directeur/rices d’école, quand on observe le recours de plus en plus massif à des contractuel·les formé·es en 5 jours, comment ne pas faire le parallèle avec la Suède, comment ne pas y voir une montée programmée des inégalités et l’abandon des plus démunis ?
La suite de cette histoire suédoise est un peu triste, avec la victoire de l’extrême droite aux élections législatives, le soir du 11 septembre 2022. Pourtant dans cette école suédoise de la banlieue nord de Stockholm, la fin n’était pas si mauvaise : « Un meilleur encadrement des enfants et plus de formation, c’est la recette qui a marché à l’école d’Askebu. En 4 ans le taux de réussite est passé de 40% à 77%. »
Version française : avec plus de personnels d’éducation, de fonctionnaires bien formé·es et envoyé·es dans toutes les écoles françaises, en réduisant les effectifs par classe, la réussite du plus grand nombre serait largement favorisée.
Pierre Gromann, le 24/09/2022.
2 https://www.arte.tv/fr/videos/110915-000-A/suede-enfants-d-immigres-un-enjeu-electoral/