Accompagnement personnalisé, cheval de Troie de la réforme des statuts !
Accompagnement personnalisé, cheval de
Troie de la réforme des statuts !
Il ne faut pas s’y méprendre et sous-estimer la vague de dérégulation qui inonde tous les étages de la maison Education nationale. Certes, il y avait déjà eu des vaguelettes auparavant, notamment dans le lycée professionnel qui constitue, depuis bon nombre d’années, le terrain de prédilection des apprentis pédagogistes. Il y a eu notamment la grande époque des PPCP (projet pluridisciplinaire à caractère professionnel). Il s’agissait, en ce temps, de mener des projets interdisciplinaires censés créer dans l’esprit des élèves l’idée d’un travail ayant du sens. Car, avouons-le, pour ces apprentis sorciers de la pédagogie, notre école est en quête de sens. Derrière ce sentiment erroné, se dissimule la fausse idée que le travail en lui-même n’est plus une valeur. Hélas, les PPCP se sont révélés tels qu’ils étaient, c’est-à-dire une usine à gaz, à l’instar des parcours diversifiés dans les collèges, à l’instar des grilles d’évaluation de l’école du socle, qui ne font que brouiller les repères.
Plusieurs années après, les vaguelettes de surface ont donné naissance à une lame de fonds. A présent l’orage gronde et les signes de mauvais augure s’accumulent. Il en est un parmi d’autres qui se nomme l’accompagnement personnalisé. Cette nouvelle imposture crée des troubles et de la confusion dans les lycées depuis déjà quatre ans.
Mais aujourd’hui la situation s’aggrave. Nouvelle imposture car le mot « personnalisé » est mensonger. En effet, les heures d’AP ne bénéficient d’aucun moyen particulier. L’accompagnement dit « personnalisé » se fait en classe entière. Cette structure n’a donc rien à voir avec une quelconque aide individualisée.
Ce premier mensonge est préjudiciable à notre métier d’enseignant car notre mission ne peut être menée à bien que dans un climat de confiance où la vérité est respectée. L’enseignant doit être exemplaire et son institution devrait l’être également.
La seconde imposture se situe au niveau de l’offre de formation professionnelle qui a fondu comme neige au soleil. Depuis quelques temps les stages consacrés à la pédagogie dans les disciplines n’existent plus. Pourtant ces stages délivraient une excellente formation. De nombreux témoignages de collègues peuvent en attester. A croire que les collègues, anciens et nouveaux, ne savent pas/plus enseigner. En effet, les stages proposés cette année ne concernent plus les disciplines mais la pédagogie ad hoc, l’unique, celles concoctées par nos éminences grises et celle qui est censée être la meilleure. La pédagogie de l’accompagnement personnalisé figure aux premières loges de ces formations. Que dire d’une institution qui impose des formations (des formatages devrait-on dire) pédagogique au détriment de la pluralité des pratiques ? Innover, instaurer de nouvelles pratiques pédagogiques sont des mots d’ordre qui s’imposent de plus en plus dans les formations mais également dans les rapports d’inspection.
L’intention peut paraître louable, à priori. Pourtant, force est de constater que ces pratiques ont déjà été largement expérimentées et qu’elles n’ont pas fait leurs preuves, loin s’en faut. Le danger vient du systématisme de ces approches. Il semblerait qu’il n’y ait qu’une seule pédagogie réussie, celle qui se distingue de la pédagogie traditionnelle jugée stérile et paresseuse. La forme prend le pas sur le fond.
Ceci nous amène au troisième travers : le présupposé selon lequel notre public a changé et que l’enseignant doit forcément d’adapter s’il veut « plaire ». L’autre présupposé étant que les élèves ne sont plus capables de travailler s’ils ne sont pas séduits par une méthode innovante. En somme, il faut briser l’icône de la vieille école rébarbative dans laquelle un enseignant dispense un savoir à des élèves. L’expérience montre pourtant que ce sont les enseignants qui maîtrisent le mieux leurs connaissances qui sont les mieux à même d’apporter le meilleur à leurs élèves. Et les nouvelles méthodes n’y changent rien.
Quatrième imposture, les compétences transversales sont au cœur du projet d’accompagnement personnalisé. Cette idée laisse penser qu’un enseignant est capable d’une vue d’ensemble sur les savoirs dispensés. Il est donc capable de distinguer des compétences dans une matière qui n’est pas la sienne et d’en faire la synthèse (pour repérer les savoirs transversaux). C’est aller un peu vite en besogne que de considérer qu’un enseignant a les moyens de juger des compétences dans un domaine qui n’est pas le sien. Surtout, cela n’est pas respectueux de son métier. L’Education nationale forme et recrute des enseignants spécialistes de leur discipline, car ces disciplines ne se limitent pas à des compétences interchangeables,
quantifiables dans des colonnes, comme voudrait le laisser croire les grilles d’évaluation du « socle commun ».
Cinquième imposture : Le cadre de « la refondation de l’école ». Ce n’est pas tant les « nouvelles » méthodes pédagogiques ni l’accompagnement « personnalisé » en soi qui sont pernicieux mais plutôt une politique de l’éducation qui ne dit pas son nom et qui avance masquée. Ce n’est certes pas un hasard si le précédent gouvernement avait envisagé, dans un projet de décret, de dessaisir les inspecteurs pédagogiques de l’évaluation des enseignants au profit de la seule responsabilité des chefs d’établissement. Comme je l’ai dit, cette politique avance masquée mais elle se trahit par sa très grande cohérence. Ainsi, l’alourdissement des programmes dans la plupart des disciplines est de nature à mettre les élèves et les enseignants en difficulté.
L’accompagnement personnalisé (dont les heures ont été prises sur les disciplines) crée des divisions dans les équipes éducatives. La politique de l’éducation s’efforce de fragiliser les enseignants afin d’opérer une transformation. Pour l’instant nos missions restent inchangées. Mais la mutation est en marche. Dans l’avenir, il ne sera plus question d’enseigner des savoirs mais de gérer une population jugée « à risque », considérée comme incapable d’évoluer, tout en opérant un tri social à destination des futurs employeurs.
N’ayons pas peur des mots. Ces politiques funestes qui contaminent notre école républicaine représentent une menace pour la démocratie. En attaquant les disciplines et les diplômes nationaux, en fragilisant les enseignants au cœur même de leurs pratiques pédagogiques, le gouvernement (la politique de Peillon s’inscrit dans la suite logique de celle de Chatel) sème la tempête en vue d’une contre-réforme des statuts de l’enseignant.
Privé de sa liberté pédagogique, le risque majeur pour le professeur est celui de devenir un fonctionnaire aux ordres, un exécutant qui n’enseignera plus la liberté de pensée mais la soumission au pouvoir en place.
Marc Robas CGT Educ'Action